« Les Adieux »

Antonio Salieri (1750-1825)
Symphonie Veneziana en Ré majeur

Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791)
Symphonie Concertante K 364 pour alto et violon

Joseph Haydn (1732-1809)
Symphonie n°45 en fa dièse mineur« Les Adieux»

Ces trois œuvres ont été composées dans les années 1770. Période charnière, la fin du XVllle oscille entre le triomphe de la raison du siècle des Lumières, et l’annonce progressive du romantisme à travers un mouvement intellectuel qui rejette les conventions commandées par la raison : le Sturm und Drang. Ces compositeurs incarnent, avant tout, des piliers de l’ère classique. Il reste cependant indéniable qu’à cette période, des inflexions romantiques commencent progressivement à s’infuser dans leurs œuvres respectives.


Antonio Salieri
Legnago, république de Venise, 1750 – Vienne, Autriche, 1825
Sinfonia in Re «Veneziana» per orchestra da camera

Allegro assai – Andante grazioso – Presto
(environ 9 minutes)

Devenu orphelin à douze ans, Salieri, qui est né à la frontière de l’État Vénitien, a rapidement poursuivi ses études musicales à Vienne, sous la houlette du compositeur Gassman. Là, il est devenu une figure centrale dans la vie musicale viennoise.

Auteur d’opéras avant tout, Salieri n’a laissé que peu d’œuvre orchestrales, et n’a pas composé de symphonie à proprement parler… Sa Sinfonia Veneziana, en effet, s’appuie sur des extraits de deux de ses opéras.

Elle s’ouvre (Allegro assai) sur un mouvement de sonate abrégé issu de La scuola de ge/osi (L’école des jaloux), un dramma giocoso (drame joyeux, entre l’opera seria et l’opera buffa) explorant le thème de l’infidélité, créé à Venise en 1778

Le mouvement lent central (Andantino grazioso) et le Presto conclusif proviennent quant à eux tous deux de l’ouverture de La partenza inaspettata ( Le Départ Inattendu), intermezzo composé à Rome en 1779, dépeignant la victoire de l’intelligence et de la ruse sur la naissance et la richesse.

La Sinfonia Veneziana doit d’ailleurs son nom au surnom du compositeur, qui signait souvent son nom « Antonio Salieri Veneziano » en référence à sa naissance sur le territoire vénitien, bien qu’il n’ait vécu qu’un an à Venise après la mort de ses parents.

À Vienne, l’ascension musicale de Salieri coïncide avec le deuxième séjour de son cadet, Mozart, en 1768. Arrivé dans la capitale impériale, Mozart ne sait rien de ce compositeur, tandis que Salieri connaîttrès bien la renommée de cet enfant prodige de douze ans.


Wolfgang Amadeus Mozart
Salzbourg, 1756 – Vienne, 1791
Symphonie concertante pour violon, alto et orchestre en mi bémol majeur K. 364

Allegro maestoso – Andantino – Presto.
(environ 22 minutes)

Fusionnant les spécificités de la symphonie, du concerto grosso (baroque) et du concerto (moderne), la K. 364 est remarquable d’expérimentations. Composée à Salzbourg en 1779 après son séjour à Mannheim puis à Paris, elle reflète l’impact de ces voyages sur Mozart, enrichi par sa rencontre avec l’orchestre de Mannheim, et sa découverte du genre concertant à Paris.

Considérée comme un tournant décisif dans la carrière du compositeur, cette symphonie récapitule ses réalisations artistiques jusqu’alors.

Mozart aimait beaucoup l’alto, qui est un peu le parent pauvre du répertoire, et il en jouait lui-même très volontiers dans des quatuors. Il est possible qu’il ait composé cette œuvre pour se produire lui-même ; ici, l’instrument est à l’honneur en partenariat avec le violon. L’effectif, de chambre, comporte deux parties d’alto non solistes, au lieu d’une : autant de gagné pour l’alto!

Avec l’Allegro maestoso, l’introduction orchestrale est énergique et majestueuse. Les solistes entrent ensuite, en unisson. L’Andante central, considéré comme l’un des plus beaux andantes écrits par Mozart, se distingue par sa profondeur émotionnelle. Mélancolique et résignée, cette partition offre ici plus de place aux solistes, qui en appuient le lyrisme. Enfin, le Presto, un rondo-sonate, fait dialoguer les solistes avec l’orchestre dans un rythme dansant qui se termine sur une note triomphante.

Si aujourd’hui son Andante est célèbre et a été utilisé abondamment au cinéma, la K. 364, tout comme le reste de ses œuvres composées à cette période, passe inaperçue dans le paysage salzbourgeois. Mozart s’exclamera à ce propos : « Si je joue ou si l’on exécute quelque chose de ma composition, c’est exactement comme si la table et les chaises étaient mes seuls auditeurs.» compositeur ».

L’environnement conservateur de Salzbourg, où Mozart entretenait des relations tendues avec !’Archevêque Colloredo, n’était pas propice à l’expansion de son génie artistique. Jean et Brigitte Massin nous diraient que « parler du ‘classicisme’ de Mozart sur le plan des formes musicales ne doit jamais nous faire oublier que, sur le plan spirituel et expressif, sa quête est celle d’un romantique ».

Fréquemment comparé à Haydn, qu’il nommait affectueusement « Papa Haydn », Mozart pouvait souvent compter sur l’amitié de ce compositeur qui fut le seul à reconnaître son génie dès le départ. l’un comme l’autre se vouaient mutuellement un respect et une admiration inébranlables. Haydn dira à Léopold Mozart: « Votre fils est le plus grand compositeur que je connaisse, en personne ou de nom.»


Joseph Haydn
Rohrau sur la Leitha, Basse-Autriche, 1732 – Vienne, 1809
Symphonie n°45 en fa dièse mineur, « Les Adieux»

 Allegro – Adagio – Menuet – Presto
(environ 30 minutes)

Haydn a passé la plus grande partie de sa carrière au service de la famille Esterhazy, une des plus riches et influentes dynasties aristocratiques de l’Empire austro-hongrois. Nikolaus Esterhazy (1714-1790) était un grand mécène des arts et particulièrement de la musique ; c’est sous son égide que Haydn a composé une grande partie de son œuvre.

La symphonie « Les Adieux » a été composée pour le Prince Esterhazy durant un séjour prolongé au palais d’été, une période durant laquelle les musiciens étaient retenus, depuis trop longtemps, loin de chez eux. C’est dire : pour le Prince, l’été s’étendait jusqu’en novembre. Or, dans son rôle de maître de chapelle (directeur musical), Haydn devait modérer les querelles internes et agissait souvent comme intermédiaire entre les musiciens et le Prince.

L’Allegro assai, structuré en forme sonate (exposition, développement, réexposition) s’ouvre avec intensité. li est suivi de l’Adagio, en la majeur, plus doux et lumineux. Le troisième mouvement, Allegretto, est plein de subtilités. Il alterne le menuet traditionnel (en fa dièse mineur) avec un trio en majeur.

Cependant, ce que l’on retient de la symphonie Les Adieux , c’est le final qui lui donne son nom : le dernier mouvement est le plus dramatique et le plus innovant.

Composé en deux parties, il reprend un Presto et un Adagio. Le presto en fa dièse mineur, tout en tension, est suivi par une réduction progressive de l’orchestre lorsque l’Adagio est entamé.

Un par un, les musiciens s’arrêtent de jouer, éteignent leurs bougies (dans la performance originale), et quittent la scène, ne laissant finalement que deux violonistes.

Ce geste symbolique représentait le souhait des musiciens de dire adieu et de rentrer chez eux. Reçu avec succès, le commentaire social ingénieux présent dans la structure même de cette symphonie pour transmettre ce message syndical témoigne bien de la verve du compositeur, qui personnifiait ces traits typiques de l’homme à l’époque des Lumières: la bienséance, le style, et l’esprit!

D’après Alexandra Syskova


 

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